Saint Maurice et la Savoie : Une histoire de foi, de martyre et de dynastie
Comment la figure du martyr thébain est devenue un pilier identitaire pour la Savoie historique
"Empereur, nous sommes tes soldats, mais aussi les serviteurs de Dieu... nous avons préféré mourir innocents plutôt que de vivre coupables." — Passio Acaunensium Martyrum, v. 450
Eucher, évêque de Lyon
1. Une origine africaine pour une figure européenne
Saint Maurice, officier romain originaire de Thèbes (en Égypte), commande une légion entière de soldats chrétiens : la Légion Thébaine. Refusant d’obéir aux ordres de l’empereur Maximien qui leur demande de persécuter d’autres chrétiens, ils sont décimés à Agaune (aujourd’hui Saint-Maurice, en Valais suisse), vers 287.
Cette attitude de non-violence au nom de la foi, cette “objection de conscience” avant l’heure, devient un acte fondateur du culte mauricien.
2. Une mémoire sacrée enracinée à Agaune
C’est là, dans le Valais tout proche de la Savoie, que naît un des plus anciens centres spirituels d’Europe : le sanctuaire de Saint-Maurice d’Agaune. Fondé en 515 par le roi Sigismond de Bourgogne, il devient le cœur battant de la mémoire mauricienne. L’instauration de la laus perennis (louange perpétuelle) transforme l’abbaye en centre spirituel exceptionnel.
Fouilles et vestiges archéologiques confirment une occupation chrétienne continue depuis le IVe siècle, renforçant la véracité du culte bien avant sa codification par Eucher de Lyon (v. 450).
3. Des racines partagées avec la Savoie historique
Le lien entre Saint Maurice et la Savoie ne se limite pas à la proximité géographique. Il est politique, dynastique et identitaire.
a) La Maison de Savoie et son cri : “Savoie, Saint Maurice !”
La dynastie de la Savoie, héritière des rois de Bourgogne, fait de Maurice le protecteur de ses États. Son cri de guerre devient un symbole de foi et de loyauté.
b) Un ordre dynastique : Saints-Maurice-et-Lazare
Fondé au XVIe siècle, cet ordre chevaleresque de la Savoie pérennise le lien spirituel et politique entre le martyr d’Agaune et la Maison de Savoie.
4. Une figure universelle adoptée par les empires
La portée du culte mauricien dépasse les Alpes :
– Les Carolingiens l’adoptent dans leurs liturgies.
– Le Saint-Empire Romain Germanique le choisit comme saint patron : sa lance, son épée et ses éperons deviennent regalia impériaux.
– Les papes et empereurs se rendent à Agaune en pèlerinage.
L’érection de la cathédrale de Magdebourg, dédiée à Maurice, scelle son statut de figure de l’Église et de l’État.
5. Saint Maurice, un saint noir en armure
Dès le XIIIe siècle, en Germanie, l’iconographie le représente en chevalier noir, dans une armure rutilante. Cette vision héroïque et respectueuse d’un homme noir est rare au Moyen Âge.
"Une figure noble et universelle, un baromètre des représentations raciales avant la colonisation."
Esther Dehoux, Saints guerriers.
Cette métamorphose symbolique fait écho à ses origines africaines et à son rôle de pont entre l’Orient chrétien et l’Occident latin.
6. Un modèle spirituel pour notre temps
La force du culte de Saint Maurice repose sur un paradoxe :
– Il refuse la guerre au nom de la foi,
– mais devient le patron des armées et des chevaliers.
Il incarne l’idéal du “miles Christi” : un soldat au service du bien, de la justice et de la conscience. Son message résonne encore aujourd’hui : la foi ne se plie pas à la tyrannie.
Conclusion : Saint Maurice, miroir d’une Savoie fidèle ou souffle un esprit de liberté
En Savoie, la mémoire de Saint Maurice ne devrait pas être un simple écho du passé. Elle peut être le ferment d’une identité réaffirmée, à la croisée de la foi, de la culture et de la souveraineté.
Célébrer Saint Maurice, c’est rappeler que l’Histoire de la Savoie est une histoire de choix courageux, de résistances spirituelles, et d’héritages assumés.
Pour en savoir plus, écoutez le Podcast de Gemini consacré à Saint Maurice d’Agaune